L’un des héros d’arts martiaux de l’histoire contemporaine de la Chine qui a fait couler beaucoup d’encre est sans doute HuoYuanJia: 霍元甲.

JetLee dans Fearless, le maître d’armes

Légendes, histoires, romans, séries télévisées ou long métrage, j’ai arrêté le compte quand j’en suis arrivé à 20.

incarner ce personnage est un passage obligé pour tout acteur d’arts martiaux qui se respecte: Donnie Yen ( qui a incarné l’un des disciples de Huo: ChenZhen ), BrucLee, JetLee… Ce personnage est source inépuisable de scénarios, de légendes accompagnées de combats acharnés, de duels, de défis et d’intrigues.

La plus connue des apparitions sur écran est sans aucun doute la série Hongkongaise sortie en 1981 en Chine. La plus connue, mais pas la meilleure. La qualité de réalisation est assez médiocre, et les chorégraphies manquent de souplesse et de vitesse.

série télévisée HuoYuanJia: 1981

Mais elle a participé, avec le chef d’œuvre « Le temple de ShaoLin », à faire renaître la passion des chinois pour les arts martiaux, oubliés pendant des décennies de troubles politiques.

Le taux de criminalité, d’accident de la route était à zéro absolu à l’heure de la diffusion de la série. Il n’y avait pas un chat ( ni rat ) dans la rue quand la série était à la télé. Les chinois ont découvert le Cantonnais, langue parlée dans la province de GuangDong dans le sud la Chine, une langue étrangère pour eux. Et les écoliers se mettaient à chanter la générique de la série, sans en comprendre un mot.

Mais alors qui était ce héro à tout faire: il aurait battu les adversaires venus des quartes coins du globe pour le défier, et surtout les japonais. Il a crée un style d’arts martiaux à lui tout seul et a ouvert une école martiale: JingWuMen ( 精武门 ). Il fut hissé au rang des héros nationaux qui ont lavé la honte du peuple chinois face aux étrangers. Et pour finir, il meurt assassiné par les japonais ( toujours). Mais d’où vient il exactement?

Je pensais trouver ses traces assez facilement, mais je me suis trompé. En réalité, il semblerait qu’il soit venu de nulle part. Pour un héro national, c’est pas banal.

Voici l’enquête.

Famille

Huo est né le 18 Janvier 1868 à HeBei, près de la capitale impériale. Sa famille était plutôt aisée. Son père tenait une société d’escorte de marchandise. C’était le métier de la plupart des pratiquants d’arts martiaux quand les armes à feu commençaient à faire son apparition en Chine impériale.

Il était le petit cadet d’une fratrie de 10. Je n’ai pas trouvé de détail concernant son apprentissage d’arts martiaux. Il apprenait sans doute auprès de son paternel comme c’était la tradition dans les familles de pratiquants.

Faits historiques

Impossible de trouver une trace écrite de Huo à part ceci:

Il s’agit d’un quotidien Chinois ShenBao: 申报。

ShenBao, était l’un des deux quotidiens en chinois à ShangHai. Tous les autres journaux étaient en anglais. Lire un journal en Chine, était signe extérieur de richesse et de statut social assez élevé.

Avoir un journal qu’un chinois sache lire était rare à ShangHai. C’est là que Ernest Major a eu l’idée d’exploiter le créneau vacant.

Il devient rapidement le seul organe de presse accessible aux chinois. Si on doit chercher quelques chose, c’est sur ShenBao qu’on doit chercher.

Sur le numéro du 3 décembre 1909, on trouve enfin la première trace écrite de Huo.

霍君元甲直隶人,精拳术,为北省之冠,此次偶来沪上,颇觉技痒。久仰南方多刚强之士,顺道访友,特设台于上海静安寺路张园出品协会大会场音乐厅内大戏台上比较拳力,如能胜霍力士者,赠以贵重之彩物。沪上中西人士愿来比试者请于念一念二念三日下午二点钟起至五点钟止入内挂号可也。

Il s’agit d’une annonce où l’on ne l’appelait pas « maître », mais DaLiShi: 大力士。Le terme qui désignait ceux qui avaient un certain savoir faire martial sans pour autant l’envergure d’un maître. Ces DaLiShi étaient souvent employés dans les cirques pour amuser la galerie.

L’annonce parlait d’un certain HuoYuanJia venu du nord. Il « passait par hasard » à ShangHai pour faire connaissance des « maîtres » d’arts martiaux du sud. L’annonce précise qu’il monte un ring à l’association de ZhangYuan. Ceux qui arrivent à le vaincre seront généreusement récompensés. Les challengers doivent s’inscrire avant de le défier.

En réalité, il s’agit d’une annonce d’événement de cirque. En effet, le terme « passer par hasard » était souvent employé par les pratiquants de crique de rue pour ne pas dire « je suis venu exprès pour gagner mon pain ». C’était une manière de garder la face.

Et qu’est ce que c’est que cette association ZhangYuan?

L’endroit de nos jours: https://zh.wikipedia.org/wiki/%E5%91%B3%E8%8E%BC%E5%9B%AD

Et bien, c’est ce qu’on pourrait appeler maintenant un centre de loisirs culturels. Et il y en avait beaucoup à ShangHai. On y trouvait de tout: de l’opéra, du cirque, de la restauration, des maisons de thé, des jeux… C’est typiquement le genre d’endroit où un grand maître d’arts martiaux ne fera pas de démonstration! D’ailleurs un grand maître n’en fera simplement pas.

Vue du ciel, l’endroit est classé monument historique: https://zh.wikipedia.org/wiki/%E5%91%B3%E8%8E%BC%E5%9B%AD

Et non, il n’y pas d’américain ni de japonais qui insultaient les chinois en les défiant.

Le défi

Le lendemain, une autre annonce pour un défi a apparu au journal. Un américain ( ou britannique selon certaines sources chinoises ) aurait accepté le défi. L’existence de cet américain semble réelle mais aucune source chinoise ne cite son nom en anglais, ce qui rend compliquée la vérification auprès d’autres sources pour croiser les indices.

又闻大力士霍元甲前日已登场试演,拳力精勇绝伦,无敢与之较量者。昨日有美国大力士 ( 奥皮音) 与霍君订立生死书,循例报明捕房,备英洋一千元以为彩物,准今日下午二点钟在音乐厂歌舞台上各以死力相拼,届时必有一场狠斗,是诚我中国从来未有之创举也。

Il est écrit qu’un américain aurait signé la décharge en cas de décès suite au défi, et a payé les frais d’inscription pour un combat à mort. Mais bien sur, il était rare que quelqu’un meurt, voire se blesse gravement à ce genre d’événement. Il s’agit après tout, d’un spectacle donné dans un centre de loisirs.

Mais l’annonce parle d’un combat acharné en vue. Disons qu’un peu de marketing ne ferait pas de mal pour gonfler les entrées ? Cependant, chaque défi devait être déclaré à la police. Celle-ci devait veiller à ce que les règles soient acceptables. Et elle ne chômait pas.

Les défis de ce genre, il y en avait presque tous les jours. Russes, britanniques, américains et allemands venaient souvent faire démonstration de leur force. Les spectacles consistaient à briser une grosses pierre avec la tête ou soulever un bloc d’acier de 150Kg.

En revanche, je ne trouve aucune annonce de cette période, où les étrangers auraient ouvertement insulté les chinois en les traitant de « malades de l’Est ». Il était donc très peu probable que Huo aurait défié un étranger suite à des insultes publiques.

Et qu’en est il du défi?

Et bien une annonce du 5 décembre 1909 en donne le résultat:

因中西证人未齐,捕房又以为忽促不及缮发照会,故须另行改期,昨日午后三点钟时中美两力士均在会场互相讨论,奥皮音议及将来角力时均不准用脚勾、指戳诸法,而霍君以中国拳术自有心传,不能舍所长而用短,故彼此议论亦未能妥洽云。——申报《大力士改期较艺之原因》

La police a refusé le défi à cause de l’absence des arbitres des 2 parties. Les combattants ne se sont pas non plus entendus sur les règles du combat à cause des différences de pratique de chacun.

Pour un combat acharné « à mort », les combattants ne s’y sont vraiment données à fond et ont préféré se chamailler sur les règles. En effet, l’un préfère interdire l’usage des jambes, tandis que l’autre insiste pour donner des coups de pied. Le combat n’a simplement pas eu lieu.

Pourquoi?

Quelle est alors la raison de tout ceci? Venir dans une ville aussi effervescente que ShangHai pour organiser un combat de cirque qui n’a finalement pas eu lieu pour des raisons aussi futiles?

Cela a un rapport avec l’endroit du combat. Il n’a pas été choisi au hasard.

上海张园 était un centre culturel pluridisciplinaires. Il se trouve en plein milieu de la zone de concession de ShangHai. Cette zone existe suite aux défaites militaires chinoises face aux puissances étrangères. Toutes les puissances mondiales y exerçaient leur autorité sauf le gouvernement chinois.

Voici le drapeau de cette concession:

Et c’est précisément cette zone qui a été choisie par les étudiants et personnalités progressistes pour se réunir. Le centre était l’endroit idéal pour tenir des réunions et conférences pour les révolutionnaires. Leur but, renverser le gouvernement Mandchou et le régime féodal.

Quelques mois après, une nouvelle apparaît au journal ShenBao: L’association gymnastique et quintessence mariale (中国精武体操会: JingWuMen) a été crée. Huo en est le créateur, en tout cas, d’après le journal.

L’association a été crée le 1er Juin 1909, l’un des révolutionnaires de la première heure, 陳公哲 (ChenGongZhe ) avait déjà invité Huo à Shanghai dès le mois de Mars 1908. Chen ainsi que des centaines d’autres fréquentaient le centre culturel pour y donner des conférence sur l’avenir de la Chine face à l’impérialisme et aux envahisseurs.

Un autre homme jouait un rôle de premier plan ( derière Huo bien sur ), 农劲荪: NongJinSun.

农劲荪: NongJinSun dans fearless: le maitre d’armes

Ce personnage, dépeint comme un simple patron de restaurant dans le long métrage Le maître d’armes de JetLee, est entouré de mystère. Son rôle ne se limite pas à faire crédit à Huo pour ses soirées extravagantes, mais beaucoup plus que ça.

En réalité, Mr. Nong avait rencontré une certain Sun Yat-sen ( SunZhongShang, le père de la nations Chinoise ) au Japon.

Sun a envoyé Nong en Chine pour préparer la révolution. Sa mission était de préparer le terrain pour que Sun puisse réussir à renverser le gouvernement des Mandchous.

Nong avait rencontré Huo au hasard au nord de la Chine. On ne sait pas vraiment ce qui s’est dit entre les 2 hommes. Mais on peut facilement le deviner quand on voit que Mr. Nong est devenu le président de L’association gymnastique JingWuMen.

En réalité, Huo ne faisait pas grand chose au sein de l’association. En effet, si la discipline martiale chinoise y était effectivement enseignée, mais c’était loin d’être la seule ni même la matière principale.

Parmi les cours dispensés au sein de l’association, on y trouvait la photographie, le piano, la musique traditionnelle chinoise, la gymnastique occidentale, le dessin occidental, le basket, le tennis, le tennis de table…

Bref, toutes ces choses totalement inconnues aux chinois au début du 20eme siècle, importées par les occidentaux. Une école avant-gardiste, dont la philosophie se voulait progressiste et révolutionnaire et le but ultime était de renverser le régime féodal, à bout de souffle.

Huo n’était que la feuille qui cachait une révolution. Derrière une école qui devait enseigner les arts martiaux, la première école moderne calée sur le modèle occidental a été crée en Chine. La campagne de marketing sur le combat contre un américain ( ou britannique ) dont on ne trouve trace nulle part sur la presse occidentale de cette époque, était surtout destinée à faire un écran de fumée aux yeux du pouvoir Mandchou.

Et non, les japonnais ne sont jamais venus humilier les élèves de l’école.

Huo est mort l’année de la création de l’école. On ne connaît pas la cause exacte.

Un siècle est passé depuis, les faits héroïques de Huo se sont accumulés au fils des séries télévisées, romans chevaleresques, long métrages, bandes dessinées …

A tel point qu’on oublie ce qu’il était vraiment.

Qui était-il alors?

Il était un héro patriote, comme les centaines de milliers derrière ce nom presque mythique. Tous ceux qui ont réussi la révolution en reversant le gouvernement des Mandchous et ont repoussé les envahisseurs, peuvent prendre ce nom. Il était personne et tout le monde à la fois. C’est pourquoi la révolution a réussi.

Sun Yat-sen père fondateur de la Chine moderne