C’est en cette période exceptionnelle, riche en évènements que j’ai enfin le temps et l’occasion de développer un sujet qui me tient à cœur depuis des années.
Nous sommes au début du printemps 2020. Le nouveau coronavirus rode à travers le monde. Cette fois, il ne tue pas que les aînés en Égypte antique, et n’épargne aucun peuple. C’est sans doute, la première épreuve d’une longue série que l’humanité traversera. Deux milliard d’humains sont déjà confinés chez eux à ce jour.
Déjà, les divertissements numériques se multiplient. La FNAC offre 500 livres numériques; canal+ passe en claire; les musées numériques aussi, en accès libre.
Le monde a plus peur de l’ennui que du virus. En effet, à la veille du confinement, au moment où la mort rode déjà dans les rues de Paris, les parcs étaient noirs de monde. Rester à la maison ne sachant que faire de son cerveau est plus effrayant encore que risquer sa vie face au virus qui tue.
Nous sommes face à la peur du siècle: l’ennui.
Nos cerveaux sont sollicités pendant 17 heures par jour, voire plus. Il y a des écrans de partout, tout le temps. Même durant le moment le plus intime, aux toilettes, beaucoup ne lâchent pas leur téléphone. Or, ce moment intime réclame justement toute notre attention: il faut se connaître, il faut se sentir, il faut se vider … y compris dans sa tête.
Et maintenant, revenons à ce qui nous intéresse ici: les arts martiaux du style naturel.
Le style naturel revient aux fondements primaires du concept martial. Un corps et un esprit bien préparé suffit.
- la technique, c’est pour la gamins
disait Maître Liang ChaoQun.
lorsqu’on demandait à son Maître, WanLaiSheng: pourquoi n’écrit-il pas un livre sur le style naturel? celui-ci répondait avec dédain:
- Mais pourquoi faire? Il n’y a rien à écrire sur de simples renforcements du corps. Je vous ai tout montré, il suffit de travailler.
Maître Wan touche un point sensible: le travail. En style naturel, c’est un travail de fourmi qu’il faut accomplir au quotidien. Mis bout à bout, tous les exercices au grand complet ont de quoi occuper un homme une journée entière: de 5h00 du matin jusqu’au coucher. Quel le mental d’un homme capable de faire ça pendant 30 ans?
Et le plus basique, mais aussi le plus compliqué à réussir, est le NeiQuanShou: la main circulaire intérieur.
Il faudra mettre 4 à 10 Kg d’anneaux d’acier sur chaque bras et tourner en rond accroupi, pendant 1 heure minimum.
Et là, un élément crucial intervient: l’ennui.
En effet, très vite, on a tendance à penser à n’importe quoi. Le cerveau cherche à s’occuper. Il est effectivement compliqué d’imaginer un entraînement aussi pénible que de marcher en rond dans des conditions tout aussi pénibles: chaleur, froid, vent, pluie, terrain boueux, neige, verglas, gouttes de sueur qui gèle sur les yeux …
Mais quand on sera assez aguerri pour ignorer les conditions météorologiques exécrables, c’est l’ennui qui guette. La grande question que se posera le pratiquant est : mais qu’est-ce que je suis en train de faire, ici, seul, dans le froid?
S’ennuyer durant un entraînement est une bonne chose. C’est goûter à l’autre coté des pratiques martiales: la pratique immobile, par opposition à la pratique mobile. La pratique immobile permet l’équilibre mental. Il laisse le pratiquant le temps de sentir les changements obtenus sur chaque partie de son corps. Le pratiquant a la possibilité de passer en revue, les dernières séances d’entraînement. Les flashs, les sensations de fatigue et de satisfaction, de déception, d’interrogation feront surface. Le pratiquant puise son expérience durant ce moment de quiétude que les contemporains de l’ère numérique appellent: l’ennui.
Le NeiQuanShou prépare physiquement et mentalement le pratiquant du style naturel.
Lorsqu’on est capable de surpasser les premiers signe de fatigue, on doit chercher à surpasser les premiers envies de voguer dans sa tête. Le seul moyen que j’ai personnellement trouvé, est la concentration sur sa propre démarche.
La démarche doit être légère, malgré les poids. On ne doit rien entendre, même pas sa propre respiration. Aucun élément extérieur ne doit perturber cette démarche parfaite. Il faudra alors une grande concentration pour adapter la posture afin de gommer l’irrégularité du terrain, lutter contre le vent tournant (puisqu’on tourne sur place …)
Et enfin, après avoir surpassé la fatigue, adapté instinctivement sa posture à tous les éléments perturbateurs extérieurs, on parviendra (presque) à faire une séance de méditation ! On atteindra le stade de l’immobile en étant mobile. Les éléments fondamentaux du cosmos, le Yin et le Yang réunis au sein d’un même exercice, au même moment.
A la fin des 1400 voire 2400 pas (et oui, il faut en plus les compter), on a l’impression de sortir d’une séance de médiation, de revenir au monde réel peu à peu. L’un des signes montrant qu’on a atteint ce stade mental durant l’entraînement, est qu’on a les yeux un peu secs: on a oublié de cligner les yeux pendant très long temps tellement la concentration était grande.
La quiétude ou l’ennui nous permet d’atteindre un stade mental très réparateur, surtout à une époque où l’on est sollicité pratiquement 24h sur 24, 7 jours sur 7.
Cette capacité à se concentrer sur un objectif, sur le présent, sur le strict nécessaire est essentiel lors d’un combat. Il est aussi vital pour réussir un entraînement. elle est très profitable dans la vie au quotidien. Cette capacité naît de l’ennui.
Car, l’ennui est un moment précieux où l’on a rien à faire. C’est en ce moment-là qu’on va réussir.