
Ceci est une étude publiée par professeur de génie mécanique à l’Université Duke: Adrian Bejan.
Le professeur Bejan nous fait remarque que les journées nous semblent de plus en plus courtes, et par corolaire, le temps passe de plus en plus vite, au fur et à mesure que nous vieillissons. Et à contrario, quand nous étions très jeunes ( car nous sommes toujours jeunes n’est ce pas ?), le temps s’écoulait très lentement et les journées nous semblaient interminables.
D’après lui, ce n’est pas qu’une impression, mais une réalité scientifique. Malgré l’augmentation dramatique du temps passé sur les réseaux qui déforme la perception du temps chez les sujets jeunes, c’est notre cerceau et sa capacité à traiter les informations qui influence notre perception temporelle.
En effet, un jeune cerveau est capable de traiter plus d’information et plus vite. Ce qui signifie qu’un cerveau jeune reçoit plus d’information dans un laps de temps court. Le cerceau sera alors très occupé à les traiter, ce qui fait que la journée semble bien longue vue la montage d’informations ingurgitées.
Mais lorsque le cerveau vieillit, sa capacité à traiter les informations diminue. De plus en plus d’informations ratent « l’échantillonnage » et ne seront pas reçues par le cerveau. Le parfum subtil du thé, le changement de luminosité, le papillon qui a effleuré le pissenlit… tous ces petits détails de la vie ne seront plus captés et analysés par un cerveau « âgé ». Une journée où il ne se passe « rien », est une journée comme une autre, monotone et ennuyeuse. Notre cerceau n’en retient beaucoup moins de souvenirs et la journée nous semble bien courte et fade.

Si vous sentez cela, peut-être que vous ou votre cerveau devient vieux ?
Maintenant, arrêtons nous sur un aspect dont peu de pratiquants d’arts martiaux chinois parlent: l’intention.
En effet, lorsqu’on apprend un ensemble de gestes codifiés, la première chose qui nous vient à l’esprit est d’assimiler les gestes au mieux et vite ( 2 concepts pourtant contradictoires). Un enseignant responsable demandera à ses élèves de répéter les enchainements entres 2 cours et il rechignera à en enseigner d’avantages tant que les cours précédents ne sont pas correctement assimilés.
Mais seulement voilà, si l’élève a payé pour 10 séances, on ne pourra pas en faire 20 si son cerveau est 2 fois plus lent … ou la moitié des informations n’a pas été « échantillonnées » et retenue.
Encore des contradictions. Face à ces obligations contractuelles, l’enseignant devra faire un trait sur la qualité de sa transmission.
Mais alors que dois faire l’élève? répéter bêtement 50 fois par jour? oui, cela finira par rentrer, c’est sûr.
Il sera satisfait de ses 10 séances payées et consommées. En revanche, je ne suis pas certain qu’il passera le 2iem cap de sa pratique: l’ennui.
Sera-t-il en mesure de persévérer sa pratique décennie après décennie ? Est-il nécessaire d’atteindre un degré quasi-obsessionnel de la pratique pour y parvenir?
Ma réponse est: surtout pas!
La pratique, ces enchaînements de gestes qu’on répète inlassablement année après année, est en réalité une suite d’informations parallèles, perçues par le cerveau à travers différents capteurs: la vue, la sensation de fatigue des muscles, l’étirement des tentons, mais aussi la température ambiante, l’air, le bruit, le terrain et le sable qui glisse sous la semelle. Bref, il y une quantité assez impressionnante d’informations à traiter.

C’est là que l’intention, 意 en chinois, intervient. Une pratique intentionnelle est celle qui oblige le pratiquant à prendre en compte chaque transition de poids, chaque changement de posture, chaque petite tension et la détente de chacun des muscles en compte. La moindre petite sensation doit être récoltée et analysée par le cerveau. Et pour que cela soit possible, il faudra ralentir la pratique. Et plus on ralenti, plus on a d’informations à traiter et analyser, plus la pratique demande une intention intense. Et par conséquent de quoi, la pratique deviendra plus difficile.
On n’aura certainement pas le temps de s’ennuyer. Le cerveau est beaucoup trop occupé, à tel point qu’on perd la notion du temps. On est dans sa bulle spatio-temporelle.
Et pour mettre à l’épreuve solidité de cette bulle, rien de mieux que de l’exposer au jugement des autres: faites une démonstration devant une foule dans un gymnase débordant de bruits en résonance. Vous serez vus, filmés, jugés, admiré, jalousé et peut-être même moqué ça se trouve. Mais, the show must go on, n’est ce pas ?

Mais votre cerveau est tellement occupé par les information de votre pratique que le parasitage de l’environnement ne peut vous perturber. Certains parlent de la concentration, mais seule une pratique fortement intentionnelle peut vous procurer un tel niveau de concentration.
Il m’est arrivé une anecdote. Un jour, on devait faire une démonstration devant mon maître avec 2 autres personnes. En réalité, cela exerce une pression bien plus forte que celle par le regard ébahi d’une foule d’amateur. Très vite, l’intention presque routinière s’installe dans ma pratique. Après 8 bonnes minutes, la démonstration prend fin. Et là, je m’aperçois que j’étais seul: les 2 autres sont restées immobiles à coté du maître en train de me regarder. Ils m’ont ensuite expliqué qu’ils étaient incapables de se rappeler les mouvements pourtant si évidents pendant les entraînements et ont du s’arrêter en plein milieu. Je ne me suis rendu compte de rien.
En effet, si le cerveau est pleinement actif et occupé par les information de la pratique, il ne pourra simplement pas traiter les informations parasitaires et devra les rejeter ou ignorer. Pour moi, une pratique martiale intentionnelle est une forme de méditation en mouvement. Il est impossible de s’ennuyer de sa pratique.

Entre l’apprentissage de 2 formes de TaiJi que j’ai apprises, 15 années se sont écoulées. Finalement à force d’occuper son cerveau avec une forte quantité d’information centrées sur ses ressentis de multiples canaux, on est réceptif à diverses informations de provenances variées et différentes. On en devient plus alerte et vif et les journées d’un salarié dans le privé qui doivent se sembler comme 2 goutes d’eau, sont ponctuées de petites découvertes que plus personne ne regarde.
Aujourd’hui par exemple, le vent a tourné vers le sud, il fera chaud bientôt. C’est la saison d’amour des perruches vertes qui disputent les territoires aux pies ayant déjà pondu les premiers œufs: j’en ai vu un cassé par terre à vélo, plein de gens ont déjà roulé dessus.
Mais d’après l’étude de Adrian Bejan, si la pratique est hautement intentionnelle pour maximiser la quantité d’informations reçues, doit-on sentir l’écoulement du temps ralentir ? Et bien c’est là le paradoxe créé entre une quantité astronomique d’informations diverses et variées et la même quantité d’informations monotones. Dans un cas, on s’ennuie ferme, dans l’autre, on perd la notion du temps et ne sent pas le temps passer.
On voit que finalement, une pratique martiale de qualité est celle durant laquelle on s’impose une attention profonde à nos ressentis les plus minimes.
Pour terminer, je voudrais citer le Bouddha:
Ne vous attardez pas sur le passé, ne rêvez pas de l’avenir, concentrez l’esprit sur le moment présent.
