Dans les précédents articles, nous avons appris que la culture martiale constitue le barycentre de la civilisation chinoise. Mais un empire aussi immense que celui de la Chine, n’est pas facile à gouverner. Comment les chinois ont-ils fait pour le gouverner pendant des milliers d’années, à travers des dizaines de milliers catastrophes naturelles, d’invasions, dominance étrangère ?

En fait, en dehors du folklore des empereurs, il y a un aspect très sérieux, auquel les anciens se sont penchés dès la période de printemps-automne (春秋: -2600 ans), soit 400 ans avant la création de l’Empire: le choix des dirigeants. En effet, un immense pays comme la Chine, ne peut se diriger grâce à un seul homme, mais à une armée de fonctionnaires, dignes de confiance. Comment s’assurer de la fiabilité de ces dizaines de milliers de fonctionnaires? Les anciens n’ont trouvé qu’une chose: l’éducation. L’idée fondatrice des examens était de créer un système de méritocratie plutôt que d’aristocratie.

En effet, malgré les cycles dynastiques, les changements d’empereurs et de gouvernance, chinois, mongoles ou mandchou, ont tous compris l’importance de l’éducation du peuple pour diriger un immense pays comme la Chine. Pour le peuple, l’éducation est l’un des ascenseurs sociaux les plus accessibles pour échapper aux durs labeurs des champs et des fermes. Au début, seule l’élite pouvait être choisie pour participer aux concours impériaux afin de devenir fonctionnaire. Ce système a duré jusqu’au 7em siècle à la dynastie de Tang(唐).C’est en ce moment là, que le système de concours a radicalement changé.

En 621, n’importe qui pouvait participer aux différents niveaux de concours ( district, région et capitale impériale). En fonction des impératives et des besoins du pays, les épreuves et critères changent souvent. Les mathématiques, les classiques du confucianisme et du taoïsme (15 ou 20 écrits qui comptent chacun des dizaines de tomes), l’histoire antique (-2600 ans à l’époque contemporaine du 7èm siècle) sont au programme. Mais cela constitue l’épreuve la plus simple sous la dynastie Tang: l’épreuve de 明经。Mais en réalité, 明经 est aussi l’une des plus anciennes. Elle existait sous un autre nom dès le premier empire ( 221 avant l’ère commune ).

L’épreuve reine, est celle de 进士. En plus de tout connaître de 明经, il faudra rajouter la poésie et la prose (诗赋), et surtout, 时务策 ( actualités, gouvernances et stratégie). Le candidat est invité à commenter et à exprimer ses avis personnels sur l’actuelle gouvernance, ses conséquences sur le pays et sa stratégie pour l’améliorer. Ce qui fait de l’épreuve de 进士, la plus convoitée, mais aussi la plus difficile de tous les temps en Chine. Il y a un proverbe qui dit:

三十老明经, 五十少进士。

Les vieux réussissent le 明经 à la trentaine, les jeunes réussissent celle de 进士 à la cinquantaine. Et pendant ces 20 ou 30 ans d’études, l’étudiant ne gagnait rien.C’est pourquoi, en Chine, l’étudiant avait toujours l’image d’un homme (les femmes étaient globalement exclues du système) faible, pauvre et malade. Les femmes qui n’étaient pas admises dans les écoles, pouvaient très bien s’éduquer grâce aux cours particuliers. Mais cela était réservé aux familles aisées ayant les moyens.

Durant la dynastie de Song(宋), afin de rendre l’épreuve équitable, on masquait l’état civil de la copie par une épaisse couche de colle qu’on décolle après la correction. Et comme si ce n’était pas suffisant, des officiers désignés, recopiait les copies des candidats, afin de préserver les correcteurs d’éventuelles partialités, influencées par la calligraphie.

La tricherie était impossible, les salles était cloisonnée et ouvertes, gardées par les militaires. Mais des dérives ont eu lieu par la suite, l’étude est devenue tellement importante que certains candidats se jetaient dans les fleuves après un échec, car ils n’avaient plus un sous pour faire les milliers de kilomètres pour rentrer à la maison.

Cela dit, c’est ce système de concours qui a permis aux différents gouvernements chinois de maintenir un immense territoire (plus ou moins) uni à travers les âges. Les talents avaient une grande chance d’être récompensés, sans distinction d’origine et de rang social. Bien sûr, sous la domination mongole, c’était les mongoles qui réussissaient systématiquement les concours, pourtant illettrés en chinois. Mais leur dynastie n’a pas duré long temps, 70 ans à peine.

Aujourd’hui, pour parvenir au sommet de l’état, le candidat devra avoir montré ses talents de gouvernance. Prenons exemple de l’actuel président, avant de diriger 1,4 milliard de personnes, il avait dirigé diverses provinces, et villes (pauvres, riches, continentales, côtières …) des 4 coins du pays. Si on additionne tous les habitants passés sous sa responsabilité avant sa nomination, on dépasse déjà la population allemande.

Le Japon durant l’Époque de Heian, a mis en place un système de concours administratifs similaire, mais fut rapidement abandonné au profit d’un système héréditaire.

Et la France dans tout ça?

Nous avons en France un système de concours administratifs permettant à chacun de devenir fonctionnaire.

Napoléon Bonaparte : https://www.coachingpreparationconcours.com/2016/09/01/decouvrez-lhistoire-concours-origine/

Nos examens et concours français ont une longue histoire qui commence en Chine…En effet Napoléon a instauré ce type de recrutement de fonctionnaires en même temps que la création des grandes écoles, en copiant le modèle des écoles des Jésuites qui avaient eux-mêmes rapporté ce système de Chine impériale entre le XVIème et le XVIII ème siècle. Le mot même de « mandarin » qui désigne ces fonctionnaires lettrés est attesté depuis la fin du XVI ème siècle/début du XVIIème sous sa forme portugaise « mandarim », du verbe « mandar », mander, ordonner.

Nous sortons donc des sentiers de la culture martiale pour nous aventurer dans l’histoire des empires. Et on s’aperçoit que les civilisations différentes et éloignées peuvent avoir des points communs et s’inspirer de la culture de l’autre, en paix.